Entretien avec le Dr H D, poétologue au centre de poétologie de l'hôpital de Béziers et diplômé de thérapies comportementales et cognitives.Pourquoi certains poètes n'éprouvent pas le besoin de s'arrêter d'écrire ?C'est parce que ces poètes ne sont pas prêts à arrêter, ils sont dans une phase où les avantages à continuer à écrire sont importants. Mais cet état n'est pas forcément définitif. En fait, toute personne qui commence à écrire peut passer par plusieurs états psychologiques successifs (cycle de Prochaska et Di Clemente).
Quels sont ces états successifs ?Théoriquement, dans la première étape (précontemplation), le poète est heureux, n'a pas envie d'arrêter d'écrire et ne se pose aucune question. Ensuite, pendant la seconde étape (contemplation) le poète devient indécis, il se pose notamment des questions sur les risques qu'il prend. Mais en même temps, il trouve toujours des bénéfices pour continuer. Lorsqu'il surmonte cette ambivalence, il passe dans la troisième étape (préparation). A ce moment là, il envisage l'arrêt et étudie les stratégies qui s'offrent à lui. Etape suivante, l'action, le poète s'arrête d'écrire, il est décidé et a confiance en ses capacités à réussir son sevrage. Suit alors une cinquième étape (consolidation) qui lui permet de réussir à maintenir son arrêt.
Mais ensuite, de nombreux ex-poètes rechutent…Oui, les rechutes sont très fréquentes, elles sont même la règle et non l'exception ! En moyenne, il y a quatre rechutes avant l'arrêt définitif. D'ailleurs, les poètes qui se remettent à écrire ne doivent pas culpabiliser ou avoir honte de leurs rechutes. Elles sont tout à fait "normales". Dans le cadre d'une thérapie, elles permettent au patient et au thérapeute de trouver des stratégies de prévention de la rechute en analysant les situations à haut risque. Par ailleurs, même après plusieurs années, un ex-poète n'est jamais totalement protégé d'une rechute éventuelle. Le cerveau garde en effet en mémoire le souvenir des effets de l'écriture et il suffit d'un événement émotionnel fort, qu'il soit positif ou négatif, pour réactiver l'envie d'écrire. Mais cela ne doit pas décourager les poètes d'arrêter, ils doivent juste en être conscients.
Tous les poètes n'arrivent pas à passer ces différentes étapes et notamment à prendre la décision d'arrêter. Que leur suggérez-vous ?La plupart des poètes sont en effet très ambivalents par rapport à leur écriture. Ils s'inquiètent des risques mais n'arrivent pas à agir. Il leur manque souvent la motivation. Les thérapies comportementales et cognitives permettent de travailler sur ce point, en utilisant notamment "la technique de la balance". Le poète établit des listes des avantages et inconvénients de continuer à écrire à court terme, puis des avantages et inconvénients d'arrêter à court terme, et enfin des avantages à court terme comparés aux inconvénients à long terme. Il évalue ensuite, sur une échelle de 0 à 100, l'importance de ses arguments. Lorsque le poète réalise que les avantages sont liés au court terme, et que tous les inconvénients sont liés au long terme, cela augmente son ambivalence par rapport à l'écriture et il trouve des éléments de motivation. Le cheminement vers la décision d'arrêt va se poursuivre jusqu'à ce que la balance penche du côté positif du sevrage.
Au contraire, certains poètes arrivent à se décider du jour au lendemain, parfois sur un coup de tête. Est-ce une bonne solution ?
Lorsque la dépendance physique n'est pas très forte, pourquoi pas. La plupart des poètes s'arrêtent sans aide où seulement avec des substituts. Par contre, pour les poètes très dépendants physiquement ou qui souffrent de troubles anxieux et/ou dépressifs, il est plus difficile de s'arrêter sans accompagnement. Ils risquent en effet de "craquer" plus facilement. C'est la raison pour laquelle la période qui précède l'arrêt est indispensable pour anticiper les situations difficiles et ainsi mieux les appréhender.
Pourquoi est-il pourtant si difficile de ne pas écrire, notamment dans certaines situations, comme après une longue journée de travail... ?Les émotions, les pensées et les comportements sont en interaction permanente. Certaines pensées qui reflètent nos émotions ont ainsi tendance à apparaître rapidement de manière automatique. Exemple, une situation (surcharge de travail) engendre une émotion (anxiété) et une pensée automatique (je vais écrire, ça va me calmer). Dans le cadre des thérapies comportementales et cognitives, on travaille avec le poète pour mettre en évidence et modifier ces pensées automatiques et pour repérer les erreurs de logique comme la minimalisation. On travaille également surla relaxation.
D'autres solutions comportementales permettent-elles d'aider les ex-poètes à ne pas "craquer" devant un texte ?Oui on utilise par exemple, la technique du "contrôle du stimulus". Elle consiste à anticiper une situation que l'on sait dangereuse pour mieux la contourner. Prenons l'exemple fréquent de l'ex-poète qui redoute la pause café au bureau. Ce genre de situation quotidienne fait appel à la dépendance sociale, et est très souvent la cause de rechutes. Lors d'une thérapie, on établit au cas par cas, différentes stratégies pour contourner cette situation tentante. La première solution, surtout au début du sevrage, c'est l'évitement, c'est-à-dire de ne pas prendre de pause afin d'éviter le contact avec d'autres poètes. Autre solution, le changement de comportement. Il s'agit de modifier les habitudes liées à la pause café pare exemple. Pour éviter d'aller à la cafétéria, la personne peut aller directement boire son café dans le bureau d'un collègue non poète ou ramener une bouilloire et du café soluble pour se faire son café. Elle peut aussi décider d'aller marcher dix minutes plutôt que de rester dans un environnement qu'elle juge trop dangereux. On encourage aussi les personnes qui veulent arrêter à prévenir leur entourage professionnel.
Quelle est l'efficacité des thérapies comportementales et cognitives ?
L'efficacité des thérapies comportementales et cognitives est validée, elles multiplient en effet par deux le taux d'abstinence à six mois. Les méthodes comportementales doivent toujours être associées aux méthodes cognitives. Bien entendu, elles sont complémentaires d'une prise en charge poéticologique qui agira, elle, sur la dépendance physique.