Je me sens comme une morue,
une grosse morue,
sortie, comme ça, de son écosystème.
Pourtant je ne suis pas une morue,
ça je le sais,
que je ne suis pas une morue,
parce que je ne suis pas dans l'eau, et parce que je n'ai pas d'écailles, ni des gros yeux globuleux, et pas de nageoire caudale non plus, et pleins d'autres petits trucs comme ça qui me manquent et qui font que je ne suis pas une morue,
mais je ne me sens pas très bien dans mon écosystème.
Je me sens comme une morue,
comme un gros banc de morues,
un gros banc de petites morues qui ne retrouverait pas la route de son écosystème, sa route de banc de morues qui file dans le courant, qui file pour prendre le courant et manger plein de petits trucs qui font partie de mon écosystème,
mais je ne me prends pas pour une morue,
ni pour un cabillaut,
ni pour un banc de cabillauts qui cherche son écosystème dans les courants froids,
parce que je cherche rien du tout,
parce que je suis sorti de mon écosystème.
Je sais même pas ce que c'est qu'un écosystème,
c'est pour ça que je me sens comme une morue,
que je pense que je suis un banc de morues,
et je me gèle dans les courants glacés,
avec mes petites morues qui font un banc,
un banc de petites morues, et puis des grosses et des moyennes morues qui ressemblent à du cabillaut
mais qui ne se prennent pas pour du cabillaut,
et qui font partie de mon écosystème,
l'écosystème du magasin où je vais acheter du cabillaut,
des filets gracés de petites morues qui ne se prennent pas pour du cabillaut mais qui traînent sur le banc gelé du poissonnier,
dans le magasin qui fait partie de mon écosystème,
et quand je sors de mon écosystème avec mon sac et mes filets de cabillaut qui sont des petites morues sorties de leur écosystème,
je me sens comme une morue glacée
empaquetée dans son écosystème,
je me sens comme un banc de morues qu'on prend pour du cabillaut,
alors que je suis juste une petite morue
sortie de son écosystème.
Mais je ne sais même pas ce que c'est qu'un écosystème.