j'me sens toujours aux normes européennes.

Sans vélo pas de politique.
(Grosz, cité par Jung)

Dans un immeuble,
qui ne bouge pas
il y a parfois un ascenseur, pour monter plus vite dans l'immeuble qui ne bouge pas,
parce qu'un ascenseur ça monte.
Pour qu'il monte l'ascenseur de l'immeuble qui bouge pas, il faut d'abord rentrer dans l'immeuble qui ne bouge pas,
par une porte qui bouge si on la pousse et si on a, au préalable, tapé des chiffres sur un boitier qui ne bouge pas.
Les chiffres du boitier qui ne bouge pas non plus ne bougent pas,
ce qui bouge en fait,
c'est la main,
c'est les doigts de la main sur le boitier qui ne bouge pas,
dans l'immeuble,
mais qui donne sur l'ascenseur qui bouge, lui,
qui bouge tout le temps,
presque tout le temps,
dans l'immeuble qui ne bouge pas.
Alors bien sûr un ascenseur ça monte ça descend, une touche ça s'enfonce ça s'enfonce, une porte ça s'ouvre et ça se ferme et un immeuble ça ne bouge pas,
mais moi,
quand je prends l'ascenseur qui bouge dans l'immeuble qui ne bouge pas,
après avoir appuyé sur les touches qui bougent du boitier qui bouge pas,
avec ma main qui bouge,
qui bouge des doigts qui doivent bouger des trucs qui bougent pas,
eh bien je ne bouge pas.
Et de pas bouger dans un truc qui bouge,
dans un immeuble qui bouge pas,
ça me gène,
alors je regarde les touches des boitiers qui bougent pas dans l'ascensceur qui bouge dans l'immeuble qui bouge pas,
et je bouge pas non plus,
parce que je les trouve belles ces touches qui bougent pas dans ce truc qui bouge alors que personne ne bouge,
parce que je me dis que je pourrais les toucher ces boutons,
avec mes doigts,
mes doigts de ma main qui bouge pour faire bouger les trucs qui bougent pas,
mais je bouge pas,
parce que je me dis que l'ascenseur il bouge,
et que comme l'ascenseur il bouge dans l'immeuble qui bouge pas au milieu de plein de trucs qui pourraient bouger,
moi aussi je bouge sans bouger,
et comme ça
je rentre chez moi,
sans bouger.

J'me sens vraiment aux normes européennes.

Sans bicyclette pas de politique.
(Franz Jung)

Pour passer de l'autre côté du mur, je saisis la poignée et j'ouvre la porte,
c'est un moyen comme un autre,
et sans doute le plus sûr,
et quand je suis à l'extérieur, quand j'ai refermé la porte en la poussant d'un coup ferme sans en saisir la poignée, j'oublie complètement que je ne suis plus à l'intérieur,
c'est un moyen efficace, et relativement sûr, de sortir de chez soi.
Les clés, que je n'ai pas oubliées sur l'étagère de l'entrée et qui sont bien au chaud dans la poche de ma veste au risque de la percer, sont tout aussi efficaces pour libérer l'aperture du véhicule dont l'immatricualtion et les particularités plastiques, bleu passé, comme le bruit mécanique et sourd produit par la simple pression sur le bouton permettant d'en déverrouiller les portières,
me signalent qu'il est bien à moi,
c'est un bon moyen pour ne pas se tromper,
et c'est un moyen efficace pour partir loin de chez soi, mais ce n'est pas le plus efficace.
Ni le plus sûr.
C'est un moyen.
Quand je suis à l'avant de mon véhicule, quand j'ai refermé la portière qui me sépare et me protège aussi, soyons clairs, de l'extérieur,
je me demande toujours ce que je peux faire.
Introduire les clés, une des clés, la bonne clé, facilement reconnaissable au volume de sa branche indiquant la marque du véhicule, dans la fente, sise au volant, près du tableau de bord, en bas à droite pour les gauchers, et la tourner vers le haut par une légère rotation du poignet, permet de démarrer le véhicule, sans pour autant le déplacer, à moins d'avoir oublié de prendre le soin de vérifier qu'aucune vitesse n'était évidemment enclenchée.
C'est une solution.
Le bruit d'un véhicule, tendance vieux diesel, est rassurant.
Le bruit et l'odeur du diesel, ça me réconforte.
Alors c'est pour ça que je ne bouge pas.
Je tourne un peu le volant, à droite, à gauche, et je reste là, à l'extérieur, parce que j'ai oublié que je suis à l'intérieur de l'extérieur, et j'écoute le moteur de mon véhicule qui me rappelle l'extérieur, l'extérieur de l'extérieur où je crois que je suis, alors que je suis toujours à l'intérieur.
Et c'est là que je voulais en venir.
Quand je suis dans ma voiture, je suis à l'extérieur de chez moi, à l'extérieur de l'intérieur, mais je suis quand même dans un autre intérieur, même à l'extérieur.
Et c'est pour ça que je ne pars pas, c'est pour ça que je ne bouge pas,
parce que je ne suis pas à l'extérieur, parce que je reste à l'intérieur, et qu'à l'intrieur, même si c'est l'intérieur de l'extérieur, ça sert à rien de bouger parce qu'on passera pas à l'extérieur, on restera à l'intérieur de l'extérieur,
c'est ce que je me dis,
c'est ce que je me dis à chaque fois,
que je suis pas à l'extérieur, que je peux pas être à l'extérieur,
alors j'écoute le moteur diesel de ma voiture pendant des heures, en essayant de passer à l'extérieur,
et après je rentre chez moi.

Demain, je vais faire les soldes.

J'me sens aux normes européennes.

Je me sens bien.
Je me sens super bien.

Demain, j'arrête le bourguignon.
Je fais du vélo.

Parce que les roues de mon vélo elles roulent,
et quand elles roulent elles font un cliqueti un joli cliqueti qui signifie qu'elles tournent
alors moi sur mon vélo j'écoute ce cliqueti et je pense pas que je fais du vélo
je pense que je suis une roue du vélo
je pense que je suis ce petit cliqueti de la roue de mon vélo qui roule
et je cliquète
et je cliquète
et je cliquète
(bis)
(bis)
(bis)
et ça tourne
ça tourne parce que ça cliquète
et je pense que ce serait bien d'être une roue de bicyclette qui cliquète
une roue bien graissée qui cliquète et qui roule
qui roule super bien
qui avance comme si de rien n'était qui tourne comme ça presque toute seule avec ce petit cliqueti
clac clac clac
et je regarderais même pas le chemin
je penserais qu'à rouler qu'à cliqueter comme une roue bien graissée bien heureuse d'être une super roue de vélo qui cliquète super bien et qui roule
qui roule
qui roule tout le temps,
qui peut pas s'arrêter de rouler
en cliquetant,
qui peut pas s'arrêter de cliqueter,
qui ne voit rien autour d'elle,
qui tourne
qui tourne
qui roule super bien
et des fois je me prendrais pour une roue de voiture,
alors dans les virages je pousserais des petits cris,
des jolis petits cris
et dans les gros virages je me prendrais pour une grosse roue de grosse voiture de course,
et je pousserais des gros cris,
des gros cris gras de grosse voiture qui crisse,
et j'aurais l'air super con
mais je serais super contente
parce que j'aurais une super grosse voiture sur mon vélo,
et que mon vélo il pousserait des super cris dans les virages,
j'aurais des copines roues qui rouleraient autant que moi et qui feraient la course dans les lignes droites,
et même une copine qui pourrait nous remplacer si on crevait comme des connes sur la ligne droite à se tirer la bourre comme des connes,
parce que ça roule,
ça roule bien
parce que c'est bien graissé c'est bien huilé,
le petit cliqueti des roues quand ça roule.
Alors demain je fais du vélo,
et j'écoute le petit cliqueti de ma roue,
la roue de mon vélo.

Je manque un peu d'air
c'est ce que me dit le gros ballon qui traîne dans le jardin,
c'est ce que je pense qu'il me dit quand je le regarde
quand je suis dans mon jardin et que je regarde mon ballon
un beau ballon bien rond bien ballon
Alors je me dis que je pourrais lui taper dedans
je lui taperais dedans bien fort à ce ballon
pour lui donner de l'air
et lui
il se mettrait à rouler
peut-être même
il s'envolerait un peu avec mon coup de pied
ce ballon qui manque d'air
et puis je le regarde ce ballon qui ressemble à un ballon qui manque d'air
et je me demande si c'est lui, le ballon, le beau ballon, le ballon cousu main, cousu main pas cher, le beau ballon pas cher qui traîne dans mon jardin, qui manque d'air, ou si c'est l'intérieur du ballon, si c'est l'air du ballon qui manque d'air,
tout l'air qui est dans le ballon de mon jardin,
et si l'air de mon ballon qui manque c'est du vide à côté de l'air qui le remplit,
ou si c'est même l'air qui est dedans qui manque d'air,
et qu'il voudrait partir du ballon,
se dégonfler comme un con,
alors j'hésite,
et puis je me dis que le ballon il s'en fout
il s'en fout comme un ballon de savoir si l'air qui lui manque c'est du vide ou pas,
parce que lui,
le beau beau ballon pas cher,
il aimerait bien que je lui tape dedans,
il aimerait bien que j'aille dans mon jardin et que je tape avec mon pied dans le vide d'air qui lui manque,
et je suis sûr qu'il dirait ouf,
comme un gros ballon bien con qui roule pas très bien à cause de l'air qui lui manque et du vide qu'il n'y a pas dedans,
c'est pour ça que je bouge pas,
et que je le regarde ce ballon,
ce gros ballon à la con dans mon jardin,
tout plein du vide qu'il a pas,
et qui roule pas,
et qui reste planté là,
gonflé comme un gros ballon.